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Marion V
Après des années de recherche, une équipe de l’Hôpital des Quinze-Vingts à Paris a réussi à rendre un œil humain intégralement transparent. Cette technique ouvre la voie à l’étude de la structure du globe oculaire en trois dimensions, au suivi du trajet des fibres nerveuses, des vaisseaux… de quoi faire avancer considérablement notre compréhension du fonctionnement de l’œil normal et pathologique.
Explications avec Marie Darche, qui a mis au point le protocole de transparisation.
Marie Darche, ingénieure de recherche à l'Institut de la Vision et à l'hôpital des Quinze-Vingts, équipe du Pr Paques au Centre d’Investigation Clinique de l’Hôpital National des Quinze-Vingts.
Après un bac scientifique, Marie Darche s’oriente vers un BTS de biotechnologie, en 2008. Grâce à l’entregent d’un membre de sa famille, elle fera son stage de première année à l’Institut de la Vision, qui vient juste d’ouvrir. C’est le Pr Alvaro Rendon qui l’appelle, pour lui proposer de travailler avec lui sur les dystrophies orphelines de l’œil, « à condition que je n’ai pas peur des souris », se souvient la jeune femme, qui vient de fêter ses 33 ans. « Ensuite, je suis tombée dans la marmite. La complexité de l’organe, la beauté de l’imagerie… et le fait que le moindre petit changement peut provoquer un handicap incroyablement lourd, tout ça est passionnant. Et une fois qu’on a vu les patients que notre travail peut aider, c’est à vie ».
Elle revient donc à l’Institut pour sa licence professionnelle, puis intègre l’équipe du Centre d’Investigation Clinique de l’Hôpital National des Quinze-Vingts, sous la direction de Michel Paques. Elle y est rapidement mise en charge de l’imagerie au microscope.
Les analyses biologiques sur les organes sont majoritairement effectuées sur de fines coupes 2D, observées au microscope après différents traitements et colorations. Ceci est notamment dû à la pigmentation des tissus, qui rend difficile voire impossible de regarder dans l’épaisseur d’un organe. « Or on ne fonctionne pas en 2D ! » énonce Marie Darche. « Avec l’histologie classique, il y a une perte d’information car à chaque fois qu’on coupe, on sacrifie des structures. On fait aussi un pari, qui est de penser qu’on comprend à partir de la 2D comment ça fonctionne en 3D ».
« Imager une rétine entière en imagerie classique, c'est trois mois de travail »
Au sein du centre d’investigation clinique, la majorité des collègues de Marie Darche sont des personnels médicaux, ou des physiciens développant de l’imagerie haute résolution sur les patients. Les demandes qui lui sont faites visent à comprendre ce qui provoque les phénomènes constatés lors des examens cliniques. « Sauf qu’examiner un patient prend quelques dizaines de minutes. Alors qu’il faut une centaine d’heures pour faire 1mm3 d’imagerie. L’œil humain est 6 000 fois plus grand. Imager une rétine entière, c’est trois mois de travail » souligne l’ingénieure.
Ensuite, il faut trouver les marqueurs spécifiques de ce qui a été observé en clinique, sans avoir la certitude que l’œil du donneur présente le même phénomène. « C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, sans être sûre qu’il y a une aiguille et en utilisant une pince à épiler… » soupire la jeune femme.
Enfin, lorsqu’on travaille ainsi sur la rétine à plat, on s’intéresse à chaque tissu individuellement, car même les 600 microns de la rétine sont trop épais pour laisser la lumière la traverser. De plus, vue la complexité de l’organe, les chercheurs se spécialisent, soit dans la rétine, soit dans la cornée ou la choroïde. Or, une large part des pathologies de l’œil touchent plusieurs tissus. La possibilité d’examiner l’œil en trois dimensions donnerait ainsi une vision plus holistique des affections oculaires, tout en économisant un temps précieux.
Des protocoles visant à rendre les organes transparents sont apparus dès le début des années 1900. Remises au goût du jour en 2012 par Frank Bradke à l’institut Max Planck de Munich, ces techniques, dites de clearing, n’ont cessées d’être raffinées. Elles sont utilisées depuis plus de 10 ans par l’équipe d’Alain Chédotal à l’Institut de la Vision, qui transparise ainsi cerveau, tumeurs, foie, rate, et os de souris. Mais ces protocoles étaient réputés inapplicables sur le globe oculaire.
« Moi, quand on me dit que c'est impossible, je réponds "laisse-moi essayer !" »
Deux raisons principales sont mises en avant pour expliquer cette impossibilité : la structure de l’œil, et la force de ses pigments. Elles seront résolues l’une après l’autre. « L’œil est un organe des extrêmes. A l’extérieur, on a affaire à la sclère, un des tissus les plus solides du corps. A l’inverse, la rétine n’a aucun tissu conjonctif. Dès qu’on la touche un peu trop fort elle se déchire. Et au centre, il y a le vitré, un mélange d’eau et de gel » détaille Marie Darche. Et pour faciliter la transparisation, impossible de découper une portion de l’œil, sous peine de décoller la rétine, de perdre le vitré... « C’était l’organe entier, ou rien » résume la jeune femme, qui reprend : « Mais nous, les ingénieurs, on est là pour résoudre des problèmes. Alors moi, quand on me dit que c’est impossible, je réponds " laisse-moi essayer ! " ».
Formée et épaulée par Morgane Belle, assistante ingénieure dans l’équipe d’Alain Chédotal et experte de la transparisation, Marie Darche se lance donc dans la transparisation d’un œil de souris, qu’elle choisit albinos. « Ce que je voulais, c’était prouver qu’il était possible de rendre un œil transparent, malgré la complexité de sa structure. Or, même chez la souris la plus pigmentée possible, les défis techniques n’ont rien à voir avec ceux que présente le pigment humain, en termes de résistance au clearing, alors autant se passer de ce paramètre » explique l’ingénieure.
Segment antérieur de l’œil observé grâce à une méthode de transparisation puis un double marquage. En bleu le collagène 4, présent dans les parois des vaisseaux sanguins. En violet, la tubuline, qui indique les nerfs.
Commence alors un long travail pour adapter, étapes par étapes, les protocoles existants aux spécificités de l’œil. Un travail de fourmi, qui finira par payer. Au-delà de sa ténacité, c’est aussi à son statut que Marie Darche doit d’avoir réussi là où d’autres ont jeté l’éponge. « Ce sont des protocoles longs, qui prennent plusieurs semaines. Quand on est en thèse ou en post-doctorat, on a que deux ou trois ans pour obtenir des résultats et les publier, et faire avancer sa carrière. Si rien ne vient, on arrête. Moi je faisais ça à côté de mes missions principales » commente, lucide, la jeune ingénieure.
Puisque rendre un œil transparent est considéré comme impossible, il est très compliqué d’obtenir des financements pour prouver que c’est en fait faisable. C’est donc essentiellement sur la base de reliquats de budgets et de dons des associations de patients que sera mise au point la transparisation de l’œil de souris. Une situation qui n’est pas sans rappeler les débuts de l’Institut de la Vision. « Les patients croient souvent plus en nous que les experts. Probablement parce qu’ils n’ont pas à gérer de budgets et de temporalités de publications. Ils nous permettent de ne pas devenir cyniques, car la moindre avancée les enthousiasme, même si elle nous semble parfois, à nous, insuffisante » sourit Marie Darche.
La transposition de la technique à l’homme est loin d’être une formalité. Il faut reprendre toutes les étapes du protocole. Un travail qui s’étale sur trois ans, avec le soutien de l’IHU FOReSIGHT, et s’appuie pour l’essentiel sur le modèle des yeux de porcs.
Après avoir réussi la transparisation, reste un défi, et non des moindres : faire diffuser des marqueurs fluorescents jusque dans la profondeur de l’œil humain. Le vitré de l’homme s’assimile à un gel chargé électriquement. Or, les anticorps utilisés pour les marquages portent aussi une charge électrique, qui leur donne leur structure tridimensionnelle mais les empêche de progresser dans le vitré. En s’inspirant de ce qui se fait pour imager certaines zones denses du cerveau, Marie Darche a l’idée d’utiliser un réactif qui masque les charges des anticorps de marquage. Rendus linéaires par le traitement, ils migrent facilement dans le vitré et diffusent jusqu’à l’intérieur de l’œil. Ne « reste plus » qu’à laver le réactif qui les dénature pour que les anticorps fluorescents reprennent leur forme, et s’accrochent à leur cible ! De plus, l’échantillon transparisé peut-être conservé des années sans perdre sa transparence, à condition que le cristallin ait été retiré, ce qui permettrait de le réimager autant de fois que nécessaire.
Mais la jeune femme n’est pas au bout de ses peines : comment imager un échantillon aussi grand qu’un œil ? S’il existe à l’Institut de la Vision des microscopes capables d’accueillir de grands échantillons, comme des coupes de cerveau, ils n’ont pas la capacité, ni les optiques, pour un œil entier. C’est finalement du côté de la Suisse que Marie Darche trouvera un microscope à feuillet de lumière (le MesoSPIM), appartenant au Wyss Center for Bio and Neuroengineering, à Genève. Les images obtenues ont ensuite permis de reconstituer un modèle 3D de l’œil. « On peut par exemple y identifier une cellule ganglionnaire et suivre son axone jusqu’au faisceau du nerf optique. Mais nous sommes limités par les optiques du microscope, et le type de marquages qu’il est capable de révéler » précise Marie Darche, qui rêve de pouvoir imager un échantillon entier, avec la possibilité de zoomer sur les zones d’intérêt, et de procéder à des marquages multiples.
Œil humain transparisé puis numérisé et modélisé en 3D.
Pour cela, il va être nécessaire de développer un nouveau microscope, à partir de celui qui existe déjà à Genève. C’est l’objectif maintenant poursuivi par l’équipe et son collaborateur suisse. Soutenus par l’Institut de la Vision et l’Hôpital des Quinze-Vingts, ils vont devoir s’appuyer sur leurs compétences internes, mais aussi s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, notamment en astrophysique. Car si les physiciens de l’équipe assurent que construire un tel microscope est possible, le fait est qu’à l’heure actuelle il n’existe pas. De plus « les logiciels scientifiques, bien que très chers, sont souvent peu performants. Nous avons commencé à échanger avec des spécialistes en effets spéciaux, des photographes, des développeurs de jeux vidéos… pour nous aider à résoudre la gestion et la compilation de nos données 3D. Cela nécessite une approche très multidisciplinaire » s’enthousiasme la jeune femme. Un parcours qui sera cependant long, et onéreux.
« L'objectif c'est de construire une banque de données en libre accès, qui permette à tout un chacun de suivre le vieillissement normal et pathologique de l'œil humain »
Publiés en octobre 2023, ces premiers résultats ont en tout cas déjà soulevé l’enthousiasme de très nombreux médecins et chercheurs. Et ce bien au-delà du secteur de l’ophtalmologie car, tout au long du processus de mise au point, Marie Darche a levé des blocages qui concernaient également la transparisation d’autres organes. Cependant, à l’heure actuelle, seule la jeune ingénieure maîtrise l’intégralité du processus et des petits détails qui permettent son bon déroulement. L’équipe réfléchit donc à la mise en place d’une plate-forme pour former ceux qui s’intéressent à la technique, ou transpariser à façon des échantillons. Avec en ligne de mire la constitution d’« une banque de données en libre accès d’œil imagés, qui permette à tout un chacun de suivre le vieillissement normal et pathologique. On pourrait y associer les données cliniques et histologiques, lorsqu’elles sont pertinentes. Nous allons avoir plus de données qu’on aura de temps pour les analyser, alors toute personne qui voudra se servir de notre outil pour faire avancer sa recherche et aider les patients sera le bienvenu ».
Dans cette quête d’une science altruiste, Marie Darche peut compter sur le soutien de ses chefs, et des patients, qui, depuis le début, croient en elle.
Propos recueillis par Aline Aurias.
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